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Microbiote intestinale (flore intestinale) par Inserm, La science pour la santé


Notre tube digestif abrite pas moins de 1013 micro-organismes, soit autant que le nombre de cellules qui constituent notre corps. Cet ensemble de bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes constitue notre microbiote intestinal (ou flore intestinale).
Son rôle est de mieux en mieux connu et les chercheurs tentent aujourd’hui de comprendre les liens entre ses déséquilibres et certaines pathologies, en particulier parmi les maladies auto-immunes et inflammatoires.

Un millier d'espèces différentes peuvent y être retrouvées, principalement des bactéries
Un rôle déterminant pour le développement et l'état de santé
Rétablir un microbiote intestinal normal constitue une approche thérapeutique dans diverses maladies.

Dossier réalisé en collaboration avec Dominique Gauguier (unité 1124, Centre universitaire des Saints Pères, Paris), Michel Neunlist (unité Inserm 1235, Institut des maladies de l’appareil digestif, Nantes) , Harry Sokol (unité Inserm 938, Centre de recherche Saint-Antoine, Paris) et Laurence Zitvogel (unité Inserm 1015, Institut Gustave-Roussy, Villejuif)

Comprendre le rôle du microbiote intestinal

Un microbiote est l’ensemble des micro-organismes – bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes, dits commensaux – qui vivent dans un environnement spécifique. Dans l’organisme, il existe différents microbiotes : au niveau de la peau, de la bouche, du vagin, des poumons… Le microbiote intestinal est le plus « peuplé » d’entre eux, abritant 1012 à 1014 micro-organismes. Il est principalement localisé dans l’intestin grêle et le côlon, réparti entre la lumière du tube digestif et le biofilm protecteur formé par le mucus intestinal qui recouvre sa paroi intérieure. L’acidité gastrique n’étant pas favorable à la présence de la plupart des micro-organismes, l’estomac héberge cent millions de fois moins de bactéries commensales que le côlon.

Microbiote intestinal © PixScience pour l’Inserm

Le microbiote intestinal est le plus important microbiote du corps. Il coexiste avec les microbiotes de la sphère nez/bouche/pharynx, de la peau, des poumons ou encore du vagin.

Le microbiote intestinal colonise les parois de l’estomac et des intestins où il se concentre surtout dans le côlon. Dans le système digestif, sa répartition est la suivante :

  • Estomac (milieu oxygéné et acide) : 10 à 1 000 bactéries par millilitre
  • Intestin grêle (l’acidité et l’oxygène s’y raréfient progressivement) : 10 000 à 10 millions de bactéries par millilitre
  • Côlon (milieu sans oxygène ni acidité) : 10 à 10 000 milliards de bactéries par millilitre

La présence de micro-organismes dans l’intestin est connue depuis plus d’un siècle et on a vite supposé qu’il existait une symbiose entre notre organisme et cette flore. Mais les moyens techniques disponibles pour étudier les détails de cette interaction étaient limités : en effet, seule une minorité d’espèces bactériennes du microbiote intestinale peut être facilement cultivée in vitro. C’est donc la mise au point du séquençage haut débit du matériel génétique qui a récemment donné un nouvel élan à cette recherche : bien qu’encore imparfaite pour analyser exhaustivement d’aussi nombreux génomes, dont certains sont encore méconnus, cette approche permet d’obtenir suffisamment d’informations sur la composition globale d’un microbiote. Elle est souvent combinée à des analyses métabolomique et lipidomique qui permettent quant à elles d’identifier les substances produites par cet écosystème. Ainsi, les scientifiques sont désormais en mesure de décrire de plus en plus finement la nature des interactions hôte-microbiote, celles des micro-organismes entre eux, et leur incidence sur le fonctionnement de l’organisme.

En conséquence, le rôle du microbiote intestinal sur notre santé est de mieux en mieux connu et reconnu. On sait désormais qu’il joue un rôle dans les fonctions digestives, métaboliques, immunitaires et neurologiques. En conséquence, la dysbiose, c’est-à-dire l’altération qualitative et/ou fonctionnelle du microbiote intestinal, est une piste sérieuse pour expliquer certaines maladies, notamment parmi celles sous-tendues par des mécanismes auto-immuns ou inflammatoires. Cette thématique est devenue centrale pour la recherche biologique et médicale.


A chacun son microbiote

La caractérisation de l’ensemble des génomes microbiens retrouvés dans l’intestin (le métagénome intestinal) par séquençage haut débit a permis d’identifier un millier d’espèces différentes, dont une large majorité correspond à des bactéries.

Il est apparu qu’à l’instar de l’empreinte digitale, le microbiote intestinal est propre à chaque individu : il est unique sur le plan qualitatif et quantitatif. Parmi les 160 espèces de bactéries que comporte en moyenne le microbiote d’un individu sain, seule la moitié est communément retrouvée d’un individu à l’autre. Il existerait cependant un socle commun de 15 à 20 espèces présentes chez tous les êtres humains, en charge des fonctions essentielles du microbiote.

Par ailleurs, bien que cela soit discuté, il semble que l’on puisse distinguer des groupes de la population selon la nature des espèces qui prédominent dans leur microbiote.


Les virus qui infectent les bactéries (appelés « phages ») sont aussi très nombreux au sein du microbiote. Ils peuvent modifier les populations bactériennes, leur patrimoine génétique et l’expression de ce dernier. Ainsi, le « virome » constitue sans doute une autre pièce dans le puzzle de la physiopathologie propre au microbiote intestinal, tout comme le microbiote fongique qui regroupe levures et champignons. Autant de sujets d’étude qu’il reste à explorer…

Un écosystème unique formé dès la naissance

Le développement en bonne santé d’un enfant est sous la dépendance directe du microbiote. On estime aujourd’hui que celui de la mère joue un rôle déterminant dans le développement fœtal. A la naissance, le microbiote d’un individu se constitue progressivement, d’abord au contact de la flore vaginale et fécale après un accouchement par voie basse, ou à celui des micro-organismes de l’environnement en cas de naissance par césarienne. La colonisation bactérienne a lieu graduellement, et se déroule dans un ordre bien précis : les premières bactéries intestinales ont besoin d’oxygène pour se multiplier (bactéries aérobies : entérocoques, staphylocoques…). En consommant l’oxygène présent dans l’intestin, elles favorisent ensuite l’implantation de bactéries qui ne prolifèrent justement qu’en absence de ce gaz (bactéries anaérobies : Bacteroides, Clostridium, Bifidobacterium…).

Pendant les premières années de vie, la composition du microbiote intestinal va ensuite évoluer qualitativement et quantitativement, sous l’influence de la diversification alimentaire, de la génétique, du niveau d’hygiène, des traitements médicaux reçus et de l’environnement. Cette composition reste ensuite assez stable, même si cette stabilité semble variable d’une personne à l’autre.

La fluctuation des hormones sexuelles – testostérone et estrogènes – pourra malgré tout avoir un impact sur la composition du microbiote intestinal, tout comme certains évènements : des maladies, des traitements médicaux, des modifications de l’hygiène de vie ou de l’alimentation peuvent en effet modifier le microbiote de façon plus ou moins durable. Par exemple, un traitement antibiotique réduit la qualité et la quantité du microbiote sur plusieurs jours à plusieurs semaines. Les espèces présentes avant le traitement sont capables de se rétablir en grande partie, mais des différences peuvent subsister. Aussi, des antibiothérapies répétées au cours de la vie semblent induire une évolution progressive et définitive du microbiote, potentiellement délétère. Un autre exemple préoccupant est l’impact possible des pesticides et des additifs présents dans notre alimentation quotidienne sur la composition et de la fonction du microbiote.

Bactéries E. coli
Micrographie électronique à basse température d’un groupe de bactéries E. coli (X10 000) © Photo d’Eric Erbe, colorisation numérique par Christopher Pooley, tous deux de l’USDA, ARS, EMU. Cette image a été publiée par l’Agricultural Research Service, l’agence de recherche du Département de l’Agriculture des Etats-Unis (ID K11077‑1).

Quand le microbiote rend service à l’organisme

Le microbiote intestinal assure son propre métabolisme en puisant dans nos aliments (notamment parmi les fibres alimentaires). Dans le même temps, les micro-organismes qui le constituent jouent un rôle direct dans la digestion :

  • Ils assurent la fermentation des substrats et des résidus alimentaires non digestibles.
  • Ils facilitent l’assimilation des nutriments grâce à un ensemble d’enzymes dont les cellules humaines sont dépourvues.
  • Ils assurent l’hydrolyse de l’amidon, de la cellulose, des polysaccharides...
  • Ils participent à la synthèse de certaines vitamines (vitamine K, certaines vitamines B) et à trois acides aminés essentiels : la valine, la leucine et l’isoleucine.
  • Ils régulent plusieurs voies métaboliques : absorption des acides gras, du calcium, du magnésium...

Des animaux élevés sans microbiote (dits axéniques) ont ainsi des besoins énergétiques 20 à 30 % fois supérieurs à ceux d’un animal normal.

Le microbiote agit en outre sur le fonctionnement global du tube digestif : des animaux axéniques ont une motricité du tube digestif ralentie. La différenciation des cellules de leur paroi intestinale est inachevée, tandis que le réseau sanguin qui l’irrigue et le réseau local de cellules immunitaires sont moins denses que chez les animaux pourvus d’un microbiote intestinal. Or ce système vasculaire a un rôle déterminant pour le métabolisme nutritionnel et hormonal, ainsi que pour l’arrimage de cellules immunitaires au sein de la paroi intestinale.

Le microbiote intestinal participe d’ailleurs pleinement au fonctionnement du système immunitaire intestinal, indispensable au rôle barrière de la paroi intestinale. Dès les premières années de vie, le microbiote est en effet nécessaire pour que l’immunité intestinale apprenne à distinguer les espèces amies (commensales) des pathogènes. Des études montrent que le système immunitaire de souris axéniques est anormal : leurs plaques de Peyer, inductrices de l’immunité au niveau intestinal, sont immatures et leurs lymphocytes, effecteurs des réactions immunitaires, sont en nombre réduit. Leur rate et leurs ganglions lymphatiques, des organes importants pour l’immunité générale de l’organisme, présentent également des anomalies structurelles et fonctionnelles.

Par ailleurs, il est établi que des bactéries comme Escherichia coli luttent directement contre la colonisation du tube digestif par des espèces pathogènes, par phénomène de compétition et par production de substances bactéricides (bactériocines).


Microbiote et inflammation

L’inflammation est un processus biologique important, étroitement corrélé à l’immunité : il existe à la fois un niveau d’inflammation physiologique, indispensable à l’activation immunitaire et qui permet notamment le contrôle du microbiote, et des réactions inflammatoires importantes, déclenchées en présence d’espèces pathogènes. Ce dernier mécanisme repose notamment sur la présence de composants bactériens inflammatoires, comme les lipopolysaccharides (LPS) présents à la surface de certaines bactéries (Gram négatif). Ces antigènes provoquent une réaction immunitaire qui conduit à la production de médiateurs pro-inflammatoires (cytokines) par les macrophages de l’intestin. Une inflammation locale est déclenchée et la perméabilité de la paroi intestinale augmente. Les LPS peuvent alors traverser cette dernière, passer dans la circulation sanguine, et provoquer un phénomène inflammatoire dans d’autres tissus cibles.


Les enjeux de la recherche

L’étude du microbiote intestinal est récemment devenue centrale pour la recherche médicale. S’il est probable qu’il constitue un biomarqueur qui reflète différents états de santé, il est également important d’appréhender l’aspect symbiotique qui existe entre ce microbiote et l’organisme. Ainsi, si certaines maladies sont secondaires à une dysbiose, il semble évident que cette dernière peut être causée par certains évènements de santé. Ces relations bidirectionnelles, pour l’heure à peine décrites, doivent continuer à être explorées afin de pouvoir mieux établir le sens des liens qui existent entre dysbiose et maladies.

Par ailleurs, le microbiote intestinal n’est pas seulement bactérien : il contient aussi des champignons et des virus. L’étude des interactions normales ou dysfonctionnelles qui existent entre eux est un champ d’investigation encore récent car complexe à explorer. D’autre part, les interactions entre les différents microbiotes de l’organisme (bouche, fosses nasales, intestin, peau…) pourraient également apporter des informations précieuses sur la façon dont ils se constituent ou évoluent.

Une partie des études en cours se concentre en outre spécifiquement sur les métabolites produits par le microbiote, car ils représentent un vecteur important de ses effets sur l’hôte. En effet, les déséquilibres microbiens (à l’origine et/ou secondaires à une maladie) peuvent se traduire par des concentrations inhabituelles de certains de ces composés, avec des conséquences sur la santé. Les techniques d’analyse globale des métabolites (la métabolomique) sont de plus en plus utilisées pour étudier ces aspects. Les découvertes réalisées dans ce domaine ouvrent la voie à une nouvelle approche thérapeutique : celle des postbiotiques, qui consiste à apporter directement à l’organisme des métabolites bénéfiques, habituellement produits par les micro-organismes intestinaux.

Maladies intestinales : un lien évident

Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), comme la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique, sont liées à une activation inappropriée du système immunitaire dans l’intestin. Derrière leur survenue se cachent des facteurs génétiques et environnementaux (alimentation, âge…). Le rôle du microbiote a été suspecté devant l’amélioration des symptômes de patients sous traitement antibiotique, ou encore en raison de la disparition de lésions inflammatoires intestinales chez des personnes dont la paroi intestinale n’est plus au contact des fèces (suite à la mise en place d’une dérivation fécale). Ceci s’explique probablement par le rôle des bactéries intestinales et leurs métabolites dans l’équilibre de la réponse immunitaire locale.

Des dysbioses associées aux MICI ont été décrites. Elles sont caractérisées par un déficit en certaines bactéries, comme Faecalibacterium prausnitzii ou d’autres espèces du groupe Clostridium, ainsi que par une augmentation de la population d’autres bactéries pro-inflammatoires comme les entérobactériesoules bactéries du genre Fusobacterium. On pense que ces déséquilibres sont à la fois une cause et une conséquence de la maladie : la dysbiose apparaîtrait sous l’influence de facteurs génétiques et environnementaux, mais jouerait elle-même un rôle dans le démarrage, le maintien ou la sévérité de l’inflammation, engendrant un cercle vicieux. Le rôle des métabolites bactériens dans ces mécanismes est aussi suspecté.

Parmi les dizaines de gènes de prédisposition aux MICI aujourd’hui identifiés, certains jouent un rôle déterminant vis-à-vis du microbiote. C’est par exemple le cas du gène NOD2, dont les variations sont celles qui ont le plus de poids dans le risque de survenue de la maladie de Crohn en occident. Or ce gène code pour un récepteur de l’immunité innée, chargé de détecter un composant de la paroi bactérienne. Muté, il ne peut plus jouer ce rôle et favoriser le maintien de la barrière intestinale. Autre exemple, celui des polymorphismes qui affectent le gène CARD9, également impliqué dans la reconnaissance des micro-organismes par l’immunité innée. Son dysfonctionnement favorise le déséquilibre du microbiote et l’instauration d’une inflammation au niveau local.

Transplantation fécale et probiotiques : deux pistes thérapeutiques à étude

Ainsi, le microbiote constitue une cible thérapeutique de choix dans ces maladies inflammatoires de l’intestin. La prise en charge de ces maladies pourrait donc évoluer vers l’association de traitements médicamenteux tels que ceux qui actuellement utilisés et d’approches qui agiront sur le microbiote.

Une approche prometteuse est celle de la transplantation fécale : il s’agit d’extraire un échantillon de microbiote normal à partir des fèces de donneurs sains et de l’instiller à une personne malade. Le succès de cette approche dépend de l’importance du rôle de la dysbiose dans la pathogénie de la maladie : ce traitement est par exemple très efficace – et désormais utilisé en routine – pour traiter la diarrhée des patients qui souffrent d’une infection récidivante à Clostridioides difficile. Les résultats des essais conduits dans le traitement des MICI sont également encourageantes. En revanche, l’efficacité de la transplantation fécale reste controversée dans la prise en charge du syndrome de l’intestin irritable.

Il est aussi possible d’agir sur la composition du microbiote intestinal de patient grâce aux probiotiques. Toutefois, les essais cliniques qui ont évalué le bénéfice de probiotiques « conventionnels », issus de produits fermentés, n’ont pas été concluants. La recherche s’oriente donc vers l’utilisation de probiotiques « de nouvelle génération », identifiés de manière rationnelle dans le microbiote intestinal pour leurs effets biologiques. On peut espérer que ces bactéries actuellement à l’étude, dont l’intestin est l’habitat naturel, auront des effets plus puissants. Certaines équipes essayent aussi de créer des probiotiques génétiquement modifiés,dotés de propriétés supplémentaires telle que la capacité à sécréter des immunomodulateurs.

Enfin, des travaux qui visent à caractériser et utiliser cliniquement des métabolites bactériens d’intérêt (postbiotiques) sont en cours.

Dysbiose, métabolisme et maladies cardiovasculaires

Les maladies cardio- et cérébrovasculaires (athérosclérose, hypertension, AVC…) et cardiométaboliques (diabète, obésité) ont une origine multifactorielle, à la fois génétique, nutritionnelle et environnementale. La part respective de chacun de ces facteurs est variable d’un individu à l’autre et les mécanismes moléculaires sous-jacents à chacun d’entre eux restent à décrire précisément. Cependant, il apparaît de plus en plus clairement que le microbiote intestinal joue un rôle dans leur genèse. Il est par exemple décrit que l’implantation d’un microbiote qui provient d’une souris obèse chez une souris axénique provoque une prise de poids importante et rapide chez cette dernière. On sait aussi que la prise d’antibiotiques au long cours peut avoir une incidence sur le risque de développer une maladie cardiovasculaire.

Plusieurs mécanismes pourraient être à l’origine de ces relations : dans le diabète ou l’obésité, il existe une inflammation chronique, favorisée par l’augmentation des graisses dans l’alimentation. Ces dernières augmentent la proportion des bactéries à Gram négatif dans l’intestin et donc le taux local de LPS inflammatoire (voir plus haut Microbiote et inflammation). Le LPS est ensuite capable de passer dans la circulation sanguine, dans le foie, les tissus adipeux, musculaires… où il favorise l’installation d’une inflammation chronique à bas bruit. Celle-ci va à son tour favoriser l’apparition d’une insulinorésistance, préalable au diabète et à l’obésité.

D’autres mécanismes qui impliquent le microbiote entrent probablement aussi en jeu : l’augmentation de la perméabilité de la paroi intestinale pourrait laisser passer des bactéries entières. Leur implantation durable au niveau des tissus adipeux, musculaires et hépatiques participerait alors le maintien de l’inflammation in situ.

Enfin, certains métabolites bactériens auraient un rôle déterminant dans le développement de maladies cardiométaboliques comme le diabète de type 2, l’athérosclérose ou l’hypertension artérielle. Les données les plus probantes concernent notamment la triméthylamine : ce déchet produit par le microbiote peut passer dans la circulation sanguine et être oxydé par le foie en triméthylamine-N-oxyde, une substance qui favorise la formation de plaques d’athérome. D’autres composés comme le benzoate, l’hippurate ou le crésol modifient eux aussi le risque cardiovasculaire.

Vers des traitements individualisés

L’idée est aujourd’hui de développer des stratégies personnalisées, dans lesquelles l’apport de prébiotiques, probiotiques, symbiotiques ou postbiotiques serait adapté aux spécificités individuelles du patient. A plus long terme, le même type d’approche pourrait être développé afin de prévenir la survenue de ces maladies.

Par ailleurs, des essais de transplantation fécale ont été conduits chez des patients obèses ou atteints de syndrome métaboliques : certains paramètres biologiques ont évolué favorablement mais l’ampleur de l’effet reste pour l’heure très modeste. Les études se poursuivent.

De la cancérogenèse à la thérapie anticancéreuse

Il existe normalement une balance entre la qualité du microbiote, l’efficacité du système immunitaire et l’intégrité de la barrière intestinale. Aussi, l’existence d’une dysbiose est décrite comme un facteur qui peut favoriser l’apparition ou la progression d’un cancer, selon différents mécanismes :

  • Le premier est celui de la cancérogenèse elle-même. Certaines tumeurs sont liées à la présence de micro-organismes précis, ou à celle d’une dysbiose intestinale. Dans le premier cas, le pathogène est responsable de lésions dans l’ADN, par exemple grâce à des toxines. C’est notamment le cas avec Helicobacter pylori, une bactérie qui augmente le risque de survenue des cancers gastriques. Dans le second cas, le déséquilibre du microbiote favorise certaines espèces (Fusobacterium) capables de stimuler anormalement des voies cellulaires carcinogène, comme celle de la caténine. Des études de cohorte indiquent que la dysbiose engendrée par des antibiothérapies fréquentes est corrélée à une incidence accrue de cancer du sein chez les femmes.
  • Un deuxième mécanisme tient au lien étroit entre le microbiote et l’immunité locale. La littérature décrit plusieurs voies de signalisation pro-inflammatoires ou immunosuppressives qui sont particulièrement activées en cas de dysbiose. Dans d’autres cas, cette dernière augmente la perméabilité intestinale, ce qui permet le passage de composés oncogéniques de la lumière intestinale vers l’organisme. Chez l’humain, de tels mécanismes ont été rapportés dans le cadre de pathologies tumorales touchant le côlon, l’estomac, l’œsophage, le pancréas ou encore le foie.
  • Des anomalies du microbiote auraient aussi la capacité de conduire à l’activation de gènes liés à la survie des cellules cancéreuses. Elles favoriseraient ainsi la progression tumorale. Ce phénomène concernerait des cancers de la sphère intestinale, mais s’observerait aussi à distance du tube digestif.
  • Plus récemment, des bactéries ont été mises en évidence au sein des tumeurs elles-mêmes : comprendre leur nature, l’origine de leur présence et leur influence sur le tissu cancéreux pourrait apporter de nouvelles pistes thérapeutiques.

Parallèlement, il est clairement démontré que la réponse immunitaire est influencée par la composition de la flore intestinale. En effet, dans les modèles animaux, l’absence de flore conduit à de nombreuses anomalies dans le développement de l’immunité, qui concernent à la fois les réponses innée et adaptative. Cette influence reposerait sur la composition membranaire, et donc antigénique, de certaines espèces bactériennes, ainsi que sur leur production de métabolites (celle de butyrate, par exemple).

Une action sur l’efficacité des traitements

Il existe par ailleurs une synergie d’action entre le microbiote et certains médicaments utilisés dans le traitement des cancers. Le cyclophosphamide par exemple – une chimiothérapie couramment utilisée en oncologie – augmente la perméabilité intestinale : cela permet à certaines bactéries d’atteindre l’immunité systémique et de provoquer une réponse immune dont certains médiateurs ont aussi des propriétés anticancéreuses.

L’immunothérapie anticancéreuse bénéficierait aussi d’un coup de pouce de la part du microbiote : cette approche thérapeutique vise à déverrouiller certains points de contrôle immunitaires qui freinent les défenses de l’organisme face aux cellules tumorales. Si elle peut être très efficaces, beaucoup de patients n’y sont pas répondeurs. L’une des causes résiderait dans la composition de leur microbiote intestinal. En effet, dans différentes pathologies tumorales, la survie des patients qui ont été traités par une antibiothérapie avant immunothérapie est moins bonne que celle des autres patients. La présence de bactéries de la famille des Akkermansia, Ruminocaccaceae et du genre Fecalibacterium serait déterminante pour obtenir une réponse positive au traitement. Deux essais préliminaires, regroupant 25 patients, ont montré que la transplantation fécale depuis des patients répondeurs à l’immunothérapie vers des « non répondeurs » améliore la réponse antitumorale chez ces derniers.

Ces données permettent d’imaginer une prise en charge qui se fonderait sur une combinaison de traitements anticancéreux et d’interventions visant à rétablir un bon fonctionnement du microbiote : probiotiques, transplantation fécale, métabolites… Dans un délai plus court, on peut espérer la mise en place de tests prédictifs de la réponse antitumorale d’un patient à un traitement donné, par analyse de la composition de son microbiote.

Le cerveau sous influence

Le système nerveux qui régit l’intestin (système nerveux entérique ou SNE) contient à lui seul 200 millions de neurones. Sa fonction première est d’assurer la motricité intestinale. Par ailleurs, l’intestin est en interaction étroite et bidirectionnelle avec le système nerveux central (SNC). On parle d’un axe intestin-cerveau, à travers lequel les deux organes communiquent. C’est la raison pour laquelle on qualifie le système nerveux entérique de deuxième cerveau.

Le microbiote, un deuxième cerveau, vraiment ? – interview – vidéo de la série Canal Détox – 4 min 55 – 2021 

Les chercheurs ont très tôt posé l’hypothèse selon laquelle un déséquilibre du microbiote pourrait modifier l’information transmise au système nerveux central et au système nerveux entérique, modifiant ainsi le fonctionnement des deux organes. Les mécanismes impliqués seraient multiples :

  • Des composés issus du microbiote (métabolites ou éléments structuraux) peuvent diffuser à travers la paroi intestinale. Ils peuvent directement moduler le SNE, ce qui impactera le fonctionnement de l’intestin, mais aussi le nerf vague : il en découlera alors une modulation du fonctionnement du cerveau.
  • D’autre part, ces composés peuvent aussi atteindre le SNC directement, par voie sanguine. Une fois parvenus dans le cerveau, ils peuvent s’avérer délétères pour certaines fonctions nerveuses, tels quels ou après métabolisation.
  • Enfin, les bactéries peuvent indirectement moduler certaines fonctions endocrines dont le contrôle est notamment assuré par le SNC : elles ont en effet la capacité à interagir avec les cellules dites entéroendocrines localisées dans la paroi, et qui sont en lien avec le cerveau. Cela a par exemple été décrit pour la voie sérotoninergique.

Ces différents mécanismes soutiennent donc l’idée que la dysbiose intestinale observée dans des troubles du neurodéveloppement ou des maladies neurodégénératives, comme Parkinson ou Alzheimer, peuvent non seulement contribuer aux troubles digestifs dont sont atteints ces patients, mais aussi aux symptômes neurologiques.

Microbiote et maladies neurodégénératives

Des données récentes, suggèrent qu’une dysbiose pourrait être un élément précoce dans le développement de certaines pathologies neurodégénératives telles que la maladie de Parkinson. Dans cette dernière, des peptides amyloïdes produits par certaines espèces bactériennes (E Coli) peuvent favoriser la production de peptides amyloïdes dans le SNE et dans le cerveau de l’hôte – notamment des formes agrégées d’alpha-synucléine. Cela contribuerait aux troubles digestifs et comportementaux. De plus, la place du tube digestif dans l’origine de certaines formes de la maladie de Parkinson est renforcée par le fait que l’alpha-synucléine pathologique présente dans le tube digestif peut se propager jusqu’au SNC, via le nerf vague. Elle y provoque des cascades d’agrégation qui favorisent le développement de la maladie. D’ailleurs, il est démontré que l’incidence de cette maladie est moins élevée chez les personnes qui ont eu une vagotomie (section du nerf vague). La gravité des symptômes parkinsoniens est en outre corrélée à la concentration d’une espèce bactérienne particulière (Entérobactericeae) dans le microbiote des patients.

Dans la maladie d’Alzheimer, les données sont moins probantes, mais une modification du microbiote a été mise en évidence dans les phases précoces du déclin cognitif.

Microbiote et troubles du neurodéveloppement

Chez l’humain, il est décrit que les troubles du spectre autistique (TSA) sont plus fréquents parmi les enfants nés de mères obèses – un trouble métabolique souvent associé à une dysbiose. D’autre part, des études indiquent que le risque de TSA serait significativement accru chez certains enfants dont la mère a souffert d’une infection (grippe, gastro-entérite…) lors du premier trimestre de grossesse. La même observation a pu être répliquée chez la souris : des souriceaux nés de mère infectées au cours de la période gestationnelle développent des troubles du comportement comparables aux TSA observés chez l’humain. En traitant la mère par antibiotiques, il semble possible d’empêcher cette évolution. Des troubles immunitaires, délétères pour le SNC du fœtus, seraient consécutifs aux perturbations induites par la dysbiose de la mère elle-même induite par l’infection.

Selon le même rationnel, des recherches cliniques menées chez les personnes qui souffrent de TSA suggèrent qu’une amélioration de certains symptômes pourrait être obtenues après administration de traitements antibiotiques spécifiques ou de microbiote sain.

Microbiote et troubles psychiatriques

D’autres pathologies neuropsychiatriques, comme la schizophrénie, l’anxiété, la dépression ou les troubles bipolaires pourraient aussi être concernées par des modifications de la composition du microbiote. Le microbiote ne serait cependant qu’un parmi de nombreux autres facteurs – génétique, épigénétique, environnementaux, psychologiques… – à jouer un rôle déterminant dans le déclenchement de ces maladies.

Chez les personnes atteintes de schizophrénie ou de troubles bipolaires, par exemple, l’équilibre entre les différentes cytokines pro- ou anti-inflammatoires présentes dans le sang est perturbé, notamment sous l’action du LPS qui reflète souvent une augmentation de population bactérienne Gram négatif, ainsi que par d’autres marqueurs de translocation bactérienne.

Aussi, les perspectives thérapeutiques sont nombreuses : des études préliminaires ont montré que l’administration de certains probiotiques permettait d’améliorer les symptômes d’anxiété ou de dépression chez des personnes malades ; d’autres ont montré que l’adaptation du régime alimentaire pouvait améliorer le déclin cognitif. Ces pistes restent pour l’heure extrêmement précoces et demandent à être confirmées.

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