L’acronyme fait fureur depuis des mois dans les médias et autour des tables. Cependant, il reste encore mystérieux pour nombre d’entre nous. Le NFT, pour Non Fongible Token, déchaîne bien des interrogations et fantasmes dans le domaine de l’art comme dans de nombreux autres. Pour expliquer ce qu’est ce certificat numérique, quelles en sont les applications, et, plus généralement, initier à la révolution attendue du Web 3, 128 acteurs de la tech et de la crypto, artistes, investisseurs et dirigeants d’entreprises ont créé la NFT Factory. Installée face au Centre Pompidou, à Paris, celle-ci accueille des expositions accessibles à tous gratuitement et se transforme, au premier étage, en espace de travail et de réunion pour les membres de la structure. Imaginés par Cut architectures (Benjamin Clarens et Yann Martin), l’agencement et la scénographie du lieu en reflètent l’esprit et les enjeux. Afin de poursuivre sa série sur les « technologies chamboule-tout », ArtsHebdoMédias vous propose une interview à plusieurs voix avec l’un des architectes, Benjamin Clarens, et la directrice de la NFT Factory, Lucie-Eléonore Riveron.
ArtsHebdoMédias. La NFT Factory n’est pas le premier projet que vous menez ensemble. Pouvez-vous nous raconter ?
Benjamin Clarens. – Effectivement, Cut architectures a déjà travaillé avec Lucie-Eléonore Riveron pour la création de Fauve Paris, une maison de vente aux enchères, lancée en 2014 dans le quartier parisien du Marais. L’ambition était de rendre cette activité plus actuelle et plus accessible. Il fallait que le lieu soit capable de muter facilement en espace d’exposition lorsqu’il n’y avait pas de vente et inversement. Pour ce projet ambitieux, nous avons mis en place des cimaises mobiles permettant l’agilité souhaitée. C’était la première fois que nous intervenions dans le domaine de l’art. Par la suite, nous avons réalisé des scénographies d’exposition, notamment pour celle de Patrick Neu, au Palais de Tokyo. Au printemps 2022, Lucie-Eléonore a appelé pour nous lancer un nouveau défi : ouvrir un lieu dédié aux NFT à l’automne ! La première contrainte était donc la date impérative d’ouverture. Nous avons participé à plusieurs visites et c’est l’espace du 137 rue Saint-Martin qui s’est imposé. Le lieu était sain et techniquement viable, deux qualités obligatoires si nous voulions tenir les délais, sans oublier, évidemment, qu’il était idéalement situé face au Centre Pompidou.
Lucie-Eléonore Riveron. – Après avoir mené de front Fauve Paris et le projet de la NFT Factory, j’ai finalement abandonné la direction opérationnelle de la maison de vente que j’avais cofondée, pour m’occuper à temps plein des NFT. Les délais étant très courts, c’était important de choisir un interlocuteur avec lequel j’avais déjà travaillé. Je voulais que la NFT Factory dispose d’un espace capable de se réinventer, quelque chose qui semble en construction permanente. Nous ne sommes qu’aux prémices des technologies de la blockchain et sommes persuadés que les NFT vont avoir un impact très important, mais nous n’en connaissons ni l’étendue, ni les modalités. La NFT Factory se devait donc d’être un lieu de work in progress, une sorte de laboratoire.
Quelles sont les missions de la NFT Factory ?
L.-E. R. – La NFT Factory s’est fixé trois missions. La première est de faire connaître les NFT au grand public, ce pourquoi nous avons une galerie et organisons des ateliers gratuits le samedi, et d’autres payants pour ceux qui souhaitent aller plus loin dans l’apprentissage du Web 3, ouvrir leur wallet (ndlr : outil de paiement et de stockage des cryptomonnaies et des NFT) et acheter leur premier NFT. La deuxième grande mission est de rassembler, car il y a en France une communauté Web 3 très forte, qui ressent le besoin d’avoir un lieu physique pour se rencontrer et échanger. La troisième mission est de consolider l’écosystème qui permettra à la France de se hisser parmi les leaders mondiaux du domaine. Cela passe par l’organisation de nombreux événements comme des meet-up (ndlr : soirées de réseautage), conférences et tables-rondes thématiques comme celle qui, en novembre dernier, s’interrogeait sur la photo numérique, la nécessité des tirages papier, le rôle des NFT pour les collections photographiques… Nous animons également des learning expeditions (ndlr : séances d’accompagnement au changement) pour de grands groupes et avons un Crypto-comédie club à l’occasion duquel des artistes montent sur scène pour se jouer de l’écosystème crypto !
Qu’est-ce que le Web 3 ?
L.-E. R. – Le Web 1, c’est l’Internet de l’information, le Web 2, c’est l’Internet de la communication, et le Web 3, c’est l’Internet de la propriété numérique. La blockchain a d’abord été inventée pour la cryptomonnaie. Derrière elle, il y a cette idée d’absence d’intermédiaire et de décentralisation, mais aussi de transparence et de protection des données. Aujourd’hui, d’autres usages se développent sur la blockchain. Les NFT, par exemple. Ces derniers permettent notamment de créer de la valeur à un actif numérique en garantissant son unicité ou sa rareté. Avec la blockchain, ils rendent possible la propriété numérique. La NFT Factory a été créée pour expliquer et démystifier. Notre objectif est de démocratiser cette technologie et d’en faciliter l’utilisation. Mais notre rôle est aussi d’expliquer que parler d’« art NFT » n’a pas de sens. Du moins pas plus que si nous parlions de « musique MP3 » ! Les NFT sont des « objets » technologiques, non des œuvres d’art. La vente de l’œuvre de Beeple par Christie’s en 2021 a mis les NFT sous le feu des projecteurs. L’art est une porte d’entrée exemplaire pour comprendre l’intérêt des NFT.
Comment se répartissent les NFT ?
L.-E. R. – 6 à 8 % des NFT sont liés à des œuvres d’art numérique, 4 % à des terrains dans le Métavers, 4 à 5 % au gaming, 6 à 8 % à de l’utilitaire comme de la billetterie ou des noms de domaine sur la blockchain et tout le reste est lié aux Collectibles, ces fameuses séries, comme les CryptoPunks et les Bored Apes, dont les médias nous abreuvent pour le meilleur et pour le pire. Ces Collectibles sont générés en séries de plusieurs milliers d’exemplaires, tous différents, et leurs critères de rareté sont définis par un algorithme. Ce sont des produits à collectionner. Les gens les achètent principalement pour les revendre et faire des plus-values rapides. Ce n’est pas ce que nous défendons ici, même si les premiers CryptoPunks ont désormais une certaine valeur artistique du fait qu’ils aient été les premiers sur le marché.
Quelles ont été les réponses de Cut Architectures pour faciliter les différentes activités de la NFT Factory ?
B. C. – Dans la mesure où le lieu dispose d’une vitrine, il nous fallait le rendre très impactant visuellement. Nous avons notamment créé un filtre entre la rue et l’espace modulable, lieu d’exposition, salle de conférences. Disposé de biais, face à l’entrée, un élément en toile tendue réfléchissante et Plexiglas signifie par son étrangeté l’arrivée dans un autre lieu, un lieu inédit. Nous voulions générer une expérience différente de celle d’un guichet d’accueil ou d’un white cube. Nous ne souhaitions pas non plus accrocher les crypto-œuvres au mur comme s’il s’agissait de peintures ou de photographies. Nous avons donc créé une sorte d’ossature mobile en aluminium, capable de doubler les murs et de supporter les écrans, sans en cacher ni les fils, ni la technicité. Clin d’œil au Centre Pompidou. L’objectif était d’induire la notion de construction perpétuelle et de permettre à l’espace de muter facilement. Un autre point important à souligner est la présence du vert utilisé par le cinéma pour les effets spéciaux. Meubles, murs, sols sont ainsi peints pour engendrer un sentiment d’immersion. Cette couleur a aussi été utilisée pour la charte graphique du lieu, marquant son identité. Nous avons également détourné des charriots de manutention pour y fixer d’autres écrans. A l’étage, nous avons développé ces points forts tout en les adaptant à d’autres fonctions. On retrouve des éléments modulables, comme des palettes de bois peintes en vert qui peuvent servir d’estrade, et d’autres dessinés sur mesure. Cet étage n’est pas public. Il est dédié aux membres de la NFT Factory et derrière un rideau de serre travaille l’équipe.
L’étage est donc réservé aux membres de la NFT Factory. Qui sont-ils ?
L.-E. R. – Au printemps, nous avons édité un NFT de membre en 1 000 exemplaires. Tous ont été vendus et sont désormais disponibles sur le second marché. Vendu à l’origine 0,2 Ether (ndlr : 1 Ether = environ 1 678 euros), il en vaut aujourd’hui 0,25. Grâce à lui, chaque détenteur dispose d’un ensemble d’avantages : accès à l’espace membre mais aussi à de nombreux autres avantages. L’animation de cette communauté est assurée par une petite équipe formidable qui passe par le réseau Discord. Les membres peuvent se poser à la NFT Factory pour y travailler ou s’y rencontrer. Nous souhaitons être un carrefour où les gens échangent et créent des projets.
Côté exposition, comment cela se passe-t-il ?
L.-E. R. – Notre public n’est majoritairement ni amateur d’art, ni connaisseur de NFT. Le lieu n’impressionne pas comme peut le faire une galerie traditionnelle, ce qui facilite l’accès aux crypto-œuvres et permet aux gens de poser facilement des questions. Nous nous sommes rapidement retrouvés sur les réseaux car le lieu est très « instagrammable » et « tictocable » ! La direction artistique est assurée par Benoît Couty, qui compte parmi les cofondateurs de la NFT Factory, et qui, comme avocat fiscaliste, est très impliqué dans les premières réglementations relatives aux crypto-monnaies. Dès 2018, il a acheté des terrains dans Cryptovoxel, un des premiers métavers, et ensuite a collectionné des NFT. Nous lui devons le Museum of crypto art. Il est aujourd’hui l’un des plus importants collectionneurs au monde de crypto-œuvres. C’est donc lui qui va imaginer les thématiques des expositions, choisir les pièces, voire les commander aux artistes. Avec la blockchain et les NFT, il faut réfléchir à de nouveaux modèles car la manière de vendre les œuvres et d’accompagner les artistes est modifiée. Si les NFT n’ont évidemment pas inventé l’art numérique, ils sont un moyen de le commercialiser. Avant les NFT, il n’y avait pas vraiment de marché. En tant que dirigeante d’une maison de vente, je n’avais jamais vendu une œuvre numérique. C’était très difficile.
Qui sont les crypto-artistes ?
L.-E. R. – La majorité des crypto-artistes ne sont pas des artistes numériques « traditionnels ». Ces derniers ont du mal à s’y mettre. C’est assez surprenant car on ne leur demande pas d’accepter une esthétique particulière, seulement d’opter pour un moyen de vendre leurs œuvres. Heureusement, quelques-uns sautent le pas, comme Pierre Pauze ou Neïl Beloufa, par exemple. Les crypto-artistes sont souvent des créateurs nés avec la blockchain. Le premier qui me vient à l’esprit, c’est Xcopy, qui crée des gifs et a été repéré par SuperRare. Créée en 2018, cette plateforme américaine de NFT ne propose que des pièces uniques et sélectionne elle-même les artistes. On peut également penser à Obvious, le collectif français qui travaille avec l’IA.
Il est souvent difficile de connaître l’identité réelle des crypto-artistes.
L.-E. R. – Tout l’intérêt du Web 3 est d’ouvrir l’ère du pseudonymat. Si l’identité numérique n’est pas forcément reliée à une identité physique, ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas un vrai artiste derrière. Nés avec la blockchain, ces créateurs sont à la fois dans la technique et dans leur imaginaire influencé par les cypherpunks des années 1990, très préoccupés par le respect de la vie privée et l’utilisation des données personnelles. Préoccupation dont découlent la création et l’utilisation de la blockchain, à la fois transparente et cryptée. Une part des crypto-artistes que nous exposons viennent du motion design, de la vidéo et des effets spéciaux. Avant les NFT, ils ne pouvaient pas vendre leurs travaux personnels.
Y a-t-il une recherche de légitimation ?
L.-E. R. – En mars 2022, j’ai organisé la première vente aux enchères physique de NFT. Ce que je ne referai pas. Un de mes moteurs était de donner une visibilité à ces artistes en leur permettant d’obtenir une cote. Mais une telle vente ne se marie pas très bien avec l’univers crypto et la blockchain. J’ai donc choisi de les défendre en acceptant la direction de ce lieu et en les exposant. C’est important pour nous de leur offrir cette visibilité qui pourra les conduire à une légitimité. Les institutions s’intéressent désormais à ce type de création.
Parlez-nous d’une crypto-œuvre qui vous passionne particulièrement.
L.-E. R. – Celle de Murat Pak. Son matériau, c’est la blockchain, les NFT. Sa série The Title est fabuleusement conceptuelle. La forme de change pas : un cube en partie transparent et blanc sur un fond noir. Mais chaque image possède un titre différent qui va engendrer une proposition différente. Exemples : The Cheap a été vendu 1 dollar l’exemplaire d’une édition de 1 000, l’unique exemplaire de The Rare valait 10 000 dollars, alors que The Gift n’était pas à vendre. Cette série met en lumière et joue avec les mécanismes liés aux NFT comme d’ailleurs The Merge, qui a rapporté quelque 91 millions de dollars en 48 heures. Formée de plusieurs centaines de milliers d’unités numériques, la crypto-œuvre est née de la fusion de l’ensemble faisant grossir une seule et unique boule.
L’établissement d’une fortune critique semble une mission délicate !
L.-E. R. – C’est difficile d’historiciser quelque chose en cours même si nous commençons à avoir un peu de recul. Benoît Couty est capable de montrer l’évolution de la pratique de certains artistes sur cinq ans. C’est très intéressant. Les curations proposées sont pointues. Nous avons une réflexion sur notre rôle en tant qu’intermédiaire du crypto-art, de l’art numérique. Si je suis passée de la vente aux enchères à la direction de la NFT Factory, c’est bien parce que j’ai perçu que tout le marché de l’art était en train de changer et qu’on ne pouvait plus aborder la vente et la commercialisation des artistes crypto et numériques de la même manière qu’on le fait pour les artistes traditionnels. La blockchain vient tout disrupter. Il est difficile d’écrire et de critiquer l’histoire dans un même temps.
Contact> NFT Factory, 137 rue Saint-Martin 75004 Paris. Indigo, La 7e couleur, jusqu’au samedi 20 mai, du mercredi au samedi de 13 h à 19 h.
Image d’ouverture> Façade de la NFT Factory, Paris. ©Photo MLD
Author: Christopher Moreno
Last Updated: 1703011082
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